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Les industriels chahutés

L'entreprise Seco fertilisants est rentrée dans une période de chômage partiel, au moins jusqu'à la fin de l'année.SECO

Les entreprises subissent de plein fouet le ralentissement des commandes. Certaines font le dos rond, d'autres sont contraintes d'effectuer des « maintenances prolongées ».

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C'est une filière sinistrée que celle des engrais au sortir de l'été. Faute de commandes qui n'arrivent pas ou tardent à arriver, « des usines importantes sont à l'arrêt, et cela concerne aussi bien des grosses que des petites entreprises », s'alarme Thierry Loyer, président de l'Unifa. Même si on peut penser que le contexte sera moins difficile à supporter pour des multinationales que pour des entreprises strictement dépendantes du marché français. « C'est inquiétant car on rentre dans la période où normalement on prépare les livraisons de NPK. Quasiment rien n'a été livré en PK depuis le mois de juin. » Un quart de l'année est déjà perdu...

Certains mettent en cause l'implication des distributeurs. « Nos grands clients annoncent une consommation réduite de NPK de 30 à 40 % pour expliquer leur fort retard de mise en stock, mais je pense qu'il y a aussi de l'intox pour faire baisser les prix. La réalité, c'est que dans ce contexte, la distribution n'ose pas parler de NPK aux agriculteurs », grince ce fabricant. Didier Leurs, directeur financier, chez Rosier, est plus compréhensif : « En 2009, nombre d'entre eux avaient acheté avant la chute des prix et ont pris des gamelles dues à la dépréciation de leurs stocks. On peut comprendre qu'ils soient frileux s'ils n'ont pas de garanties d'achat de la part des agriculteurs. »

Composés très exposés

Quoi qu'il en soit, cette crise touche en premier lieu les producteurs d'engrais PK et d'AMB, les commandes de début de campagne ayant plongé respectivement de 30 et 50 %, selon l'Unifa. Jean-François Zihlmann, chez Meac (qui porte depuis début 2016 les gammes de Meac et de CMF Products), confirme ce chiffre. « On est les premiers à trinquer dans cette histoire-là. Alors que les conditions climatiques pour l'épandage en août-septembre étaient pour le coup idéales. » Les fabricants d'engrais composés sont aussi très exposés. « Le contexte difficile a ravivé une forte concurrence des producteurs de fertilisants sur le marché européen, en particulier par ceux qui détiennent les matières premières », expose-t-on chez Rosier. Le groupe belge a d'ailleurs mis en place un plan drastique de réduction des coûts, en supprimant le maximum d'intérimaires, « mais sans toucher au personnel en interne », précise le directeur financier. « Nous avons fait un peu de « chômage économique » dans notre usine belge, mais nous jouons surtout sur la flexibilité du personnel lors d'arrêts temporaires d'ateliers. Dans notre usine néerlandaise, il y a également eu des périodes d'arrêt, mais on essaye surtout de limiter les heures travaillées le week-end, les plus chères. » Le chiffre d'affaires 2016 de Rosier, à fin septembre, est en chute de 35 % par rapport à celui de la même période en 2015 et le résultat net de la période ressort à - 8 M€. « Nous mettons tout en oeuvre pour reconstituer notre carnet de commandes et limiter l'impact financier sur le quatrième trimestre. » Confiant dans un réveil du marché français, le plus difficile serait derrière, selon Rosier.

Chômage technique

Chez Timac agro France, 80 % des sites ont été touchés par une activité partielle sur la période estivale, plus ou moins selon leur capacité à s'orienter à l'exportation. « Nous avons prolongé nos arrêts techniques en "profitant" de cela pour faire des formations et des essais industriels, ce qui nous a permis de mettre en place très peu de chômage technique », tempère le président Pierre Le Coz.

Chez Seco fertilisants, la situation est plus inquiétante. « L'entreprise est rentrée dans une période de chômage partiel depuis fin octobre, regrette son PDG, Gaëtan Potié, et ceci au moins jusqu'à la fin de l'année. Cela concerne l'ensemble du personnel (un peu moins de 100 personnes). Hormis une petite période d'inactivité en début de campagne, notre usine de Ribécourt (Oise) qui produit des NPK et des NS pour une capacité de production de près de 300 000 t avait continué de tourner jusque-là. Nous avons constitué des stocks. Nous sommes toujours en capacité de répondre aux demandes, mais nous livrerons en priorité ceux qui font un effort de nous passer commande rapidement. »

Et en azote ? « On n'a pas eu besoin d'allonger nos arrêts programmés », fait part Renaud Bernardi, directeur commercial de Borealis LAT France. « Pour l'instant, les usines françaises tournent, assure Thierry Loyer, également président de Yara France, mais on ne sait pas ce qui va se passer après novembre. Le niveau de prix est tel qu'il n'y a pas de perspectives actuellement pour les azotiers. Quel sera le rapport entre les productions locales et les importations ? » « Les achats d'azote vont être décalés à la fin de l'année avec des interrogations sur la logistique, note de son côté Alain Deschamps, DG de 2F Ouest. On est tous dans l'attente. Il faut arriver à réenclencher la nouvelle campagne une fois qu'on disposera de l'état des semis. »

Les voyants ne sont pas non plus au vert pour les organiques, biostimulants et autres engrais spéciaux, surtout en grandes cultures. « On est encore dans l'expectative pour les cultures spécialisées », selon Benoît Planques, président d'Afaïa (ex-Cas). D'autant que des produits, minéraux ou organiques, initialement destinés aux grandes cultures peuvent pressuriser d'autres secteurs. « On se prépare à une année difficile, reprend-il. On n'a pas encore eu d'échos d'entreprises en difficulté, mais on peut penser qu'il y a des sociétés qui ont du mal à passer le cap. »

Objectif 2017

Alors, en attendant que faire ? Faire le dos rond ? Sûrement. « Mettre à profit ce moment difficile pour réfléchir à diversifier nos débouchés, pour se remettre en cause », avance surtout Benoît Planques. « Nous nous efforçons de bien faire passer le message que même en année difficile, ce n'est pas un bon investissement de ne pas appliquer de P et K, martèle Renaud Bernardi. Pour l'azote, on promeut les engrais azotés directement assimilables, tel l'ammonitrate. » Enfin, Borealis poursuit son programme d'investissement sur ses trois sites de production, ainsi que sa politique de stockage en aval, en référence à l'acquisition récente du site de Luitré (Ille-et-Vilaine) détenu auparavant par Eliard-SPCP. « Notre cheval de bataille, appuie Pierre Le Coz, c'est de ne pas baisser les bras sur le terrain, garder la proximité avec la distribution et les agriculteurs, alerter sur les carences, pour ne pas risquer une mauvaise récolte en 2017 pour cause d'insuffisance d'intrants. »

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